Tous les hommes du pays de France eurent peur pour Roland, et des larmes furent versées à cause de lui. L’Empereur lui-même étant fort contristé, le duc Neimis lui dit : « Que craignez-vous ? Pourquoi êtes-vous soucieux et triste ? » L’Empereur lui dit : « J’ai rêvé, cette nuit, que l’ange de Dieu venait vers moi et qu’il brisait mon épée entre ses mains. C’est pourquoi je crains que Gevelon n’ait tramé quelque mauvaise machination avec Marsilius et n’ait trahi Roland. Si j’éprouve ce malheur, je ne m’en consolerai jamais. C’est pourquoi je recommande mon neveu à Dieu tout-puissant. »
Le roi Marsilius s’étant enquis que Roland était à Runtseval, comme il a été dit auparavant, rassembla de tout son pays les rois, ducs et comtes, chevaliers et écuyers, de sorte que, dans les trois jours, il eut quatre cent mille soldats. Il fit placer ses dieux sur le rempart, et on leur fit des sacrifices. Puis il choisit douze de ses hommes, les meilleurs qu’il eût, pour les opposer aux douze Pairs : le premier était Adelrot, le fils de sa sœur ; le second, Falsaron, son frère ; le troisième, Corsablin ; le quatrième, le comte Turgis ; le cinquième, Eskravit ; le sixième, Estorgant ; le septième, Estormatus ; le huitième, le comte Margaris ; le neuvième, Germiblas ; le dixième, Blankandin ; le onzième, Timodes ; le douzième, Langelif, qui était le frère du père du roi Marsilius.
Le roi Marsilius s’arma avec tous ses hommes, et marcha vers Runtseval. Olivier était sur une haute montagne, et voyant venir cette grande armée, il dit à Roland : « Voici venir une grande armée d’Espagne ; il est donc évident que Gevelon nous a trahis. » Mais Roland fit semblant de ne pas entendre ce qu’il disait. Olivier reprit : « Voici venir une grande armée avec des harnais bleus, des bannières rouges et des boucliers polis, et nous avons bien peu de monde. C’est pourquoi il serait prudent de souffler dans ton cor pour rappeler l’Empereur, qui viendrait à notre secours. » Roland répondit : « Je serais malade si l’Empereur et la France perdaient de leur réputation et de leur gloire par ma faute ; mais j’aurai auparavant entassé de si grands monceaux avec Durendal qu’on en parlera tant que durera le monde. » Olivier répondit : « On n’est point pour cela peureux, parce que l’on recherche son avantage et son bien. J’ai vu tant de païens que toutes les montagnes en étaient couvertes, toutes les vallées remplies, et tu ne tarderas pas à voir un grand choc entre nos gens, car nous sommes trop peu de monde contre tant de milliers d’hommes et une aussi puissante armée. » Roland répondit : « Soient brisés en deux les cœurs et les poitrines des hommes pusillanimes ! »
Quand Roland vit que les païens étaient arrivés tout près, il dit à ses hommes : « Vous savez tous que l’Empereur nous a choisis dans son armée et nous a placés ici pour garder ce pays s’il en