Page:Gautier - La Comédie de la mort.djvu/145

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C’est que l’on ne dit pas, voyant aux galeries
L’ovale gracieux de tes belles Maries,
Ô mon chaste poëte ! ô mon peintre chrétien !
Comme de Raphaël et comme de Titien,
Voici la Fornarine, ou bien la Muranèse.
Tout terrestre désir devant elle s’apaise,
Car tu ne t’en vas point, tout rempli de ton Dieu,
Emprunter ta madone à quelque mauvais lieu.
Tu ne t’accoudes pas sur les nappes rougies,
Tu ne fais pas soûler dans de sales orgies,
L’art, cet enfant du ciel sur le monde jeté
Pour que l’on crût encore à la sainte beauté.
Tu n’avais ni chevaux, ni meute, ni maîtresse ;
Mais, le cœur inondé d’une austère tristesse,
Tu vivais pauvrement à l’ombre de la Croix,
En Allemand naïf, en honnête bourgeois,
Tapi comme un grillon dans l’âtre domestique ;
Et ton talent caché, comme une fleur mystique,
Sous les regards de Dieu, qui seul le connaissait,
Répandait ses parfums et s’épanouissait.
Il me semble te voir au coin de ta fenêtre
Étroite, à vitraux peints, dans ton fauteuil d’ancêtre.
L’ogive encadre un fond bleuissant d’outremer,
Comme dans tes tableaux ; ô vieil Albert Durer !