Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/155

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— Mais ces hommes sont des démons, s’écria Lila ; ils marchent comme si une seule pensée les animait, s’arrêtent d’un seul mouvement, et quand ils déchargent leurs fusils, on dirait un seul coup de feu.

— Gagnons le faîte de cette colline, dit Chanda-Saïb en désignant un point élevé : de là nous dominerons la ville.

Le spectacle était affreux maintenant. Tous ces êtres affolés voulaient sortir par la porte opposée ; mais, dans les rues étroites, le flot humain ne s’écoulait pas assez vite et, immobilisé par moments, restait sans aucun abri, exposé aux décharges régulières et sûres des vainqueurs.

— Mais c’est de la folie ! s’écria la reine ; ils sont hébétés par quelque sortilège, car ils ne se défendent même pas, ils se laissent massacrer comme des victimes par le bourreau.

Après bien des pertes, les fugitifs parvinrent cependant à traverser la ville, et ils s’élancèrent à travers champs ; ils se croyaient sauvés, lorsque, tout à coup, des roulements de tambours, et l’éclair d’un coup de canon en face d’eux, leur firent comprendre que la retraite était coupée.

Les troupes de Madras venaient d’arriver.

Alors l’armée du nabab, sans faire le moindre effort pour se rallier, se jeta de côté et, abandonnant les bagages, se débarrassant de ses armes et de tout ce qui gênait sa course, s’enfuit en pleine déroute, dans la direction d’Arcate[1].

  1. 4 novembre 1746.