Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/197

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Les rideaux du houdah étaient ouverts d’un côté, et l’on voyait monter la traînée fumeuse des torches, traversée de flammèches, peuplée de toutes sortes d’insectes ; les feuillages, éclairés successivement, prenaient des reflets métalliques d’un vert vif, et parfois apparaissait, blotti aux coudes des branches, un singe, éveillé brusquement, qui, terrifié, regardait.

— Il court par moments des frissons dans le dos de Ganésa, qui sont pour nous de vrais tremblements de terre, dit Bussy après une somnolence.

— C’est qu’il sent le voisinage de quelque fauve, panthère ou tigre, et il témoigne ainsi son antipathie. Les terribles félins sont à la chasse. À cette heure, il ne ferait pas bon être seul dans la forêt.

On entendait en effet, par-dessus le bourdonnement de l’armée en marche, des rauquements, des cris de détresse ou de fureur, de longs miaulements, dans l’immense profondeur dont on était enveloppé.

Mais une fraîcheur plus vive annonçait l’approche du jour ; peu à peu l’impénétrable obscurité se désagrégeait, s’imbibait d’une molle blancheur ; bientôt on distingua les énormes troncs rugueux, les guirlandes de lianes, les feuilles aux formes singulières ; puis des perspectives se creusèrent, et, subitement, il fit clair. Alors toute la forêt se mit à chanter.

Les hurlements des fauves s’étaient tus ; les chants des oiseaux, comme des voix célestes, faisaient fuir vers leurs antres les sinistres rôdeurs. Sous chaque branche pépiait un nid ; des roucoulements, des cris d’appel, des roulades, mille gazouillements s’élan-