Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/226

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— Tu ne me trouves plus ingrate ?

— Je verserais mon sang, goutte à goutte, sans cesser de bénir cette minute céleste !

— Est-ce bien vrai ? Dis-tu ce que tu penses ? Jure-le-moi, veux-tu ?

— Je le jure, dit-il.

Et il crispait ses mains derrière la taille de la reine, qui se ployait, se renversait. Elle était toute émue maintenant, fiévreuse, tremblante ; une palpitation rapide soulevait ses seins, et elle regardait le jeune homme avec une expression étrange, où il y avait comme du désespoir. Tout à coup, poussant un soupir profond, presque un sanglot, elle se précipita dans ses bras, écrasant ses lèvres sur les siennes, se serrant contre lui avec une espèce de frénésie ; et il sentait des larmes lui mouiller les joues, et il écoutait ce cœur orgueilleux battre à se rompre.

— Ce baiser là est bien un don de ton amour ! s’écria-t-il, éperdu de joie, j’ai senti ton âme divine pénétrer la mienne !

Mais elle s’était reculée, le contemplant sans l’entendre.

— Ces yeux, dit-elle, ces yeux qui m’ont fait tant de mal !…

Et elle les baisa longuement, l’un après l’autre, comme pour les clore à jamais.

— Mon Dieu ! si une telle ivresse doit cesser, c’est maintenant qu’il faudrait mourir, dit-il d’une voix presque indistincte.

Elle s’était levée, dégagée de ses bras, brusquement éloignée de lui.