Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coups de tête, qui faisaient craquer les poitrines ; le sang jaillissait, illustrant de perles rouges les sculptures des murailles ; les hommes tombaient, sans un mot, sans un cri, se tordant, vomissant des flots de liquide noir.

Bussy avait le sentiment de lutter contre des enfants, et d’accomplir un affreux carnage ; mais il était surpris de leur nombre, il avait porté plus de coups qu’il n’en fallait pour les détruire et ce nombre ne diminuait pas. Il vit alors que chaque porte encadrait toujours un homme immobile, qui s’avançait quand un des combattants tombait, et dont un autre, venant de l’extérieur, prenait la place.

— Voilà qui est flatteur ! s’écria-t-il, et qui prouve la haute idée que l’on a de ma valeur. On envoie contre moi tous les pygmées de Bangalore !

La chambre s’encombrait de plus en plus ; les morts et les blessés, par terre, faisaient trébucher ; les Hindous, trop nombreux, se blessaient mutuellement, car le marquis, évitant leurs coups, l’élan ne pouvait en être arrêté et ils tombaient sur d’autres. Il bondissait, franchissant les monceaux de cadavres, s’en faisait un rempart ; quelquefois il écrasait une figure dont la bouche le mordait.

Tout à coup une corde siffla. C’était un nœud coulant qu’on lui lançait. Il l’évita ; une autre cingla l’air et l’atteignit. Il la coupa avec son épée, et retourna s’adosser au socle d’or, poussa du pied devant lui des coussins et des cadavres ; mais il se sentait perdu. Ces hommes faibles, qui se battaient sans haine ni colère et mouraient en silence, le vaincraient certai-