Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/305

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quoi une folie invincible m’a-t-elle ainsi jetée dans ses bras, quand je croyais qu’il allait mourir ? Et il vit, il est là ! Je lui ai permis de me revoir. Mais il va deviner que ce baiser, qui me brûle nuit et jour, j’en ai soif autant que honte. Non, c’est impossible, je ne veux pas qu’il me voie.

Elle se leva pour s’enfuir et fit quelques pas en courant. Mais devant elle les branches s’écartèrent, et le jeune homme parut, à quelques pas, si près qu’elle aurait pu le toucher.

Elle retint un cri et se recula un peu, toute surprise de l’apaisement qui lui venait, de la sensation de bien-être, d’une douceur étrange, qui succédait à l’agitation de tout à l’heure.

Lui, immobile et presque sans souffle, l’admirait avec une ardeur fervente et un insatiable bonheur.

Elle était gênée d’être ainsi contemplée en silence, comme une déesse, et elle eût voulu retenir son voile, d’une si exquise ténuité qu’il flottait malgré l’absence de brise et lui passait par moments sur le visage. Pesant sur elle, ce regard magnétique invinciblement attirait le sien, et, ne pouvant plus lutter, elle céda brusquement, relevant la tête avec une sorte de défi.

— Voyons, se disait-elle, si ces prunelles fixes ne se baisseront pas devant les miennes.

Mais en heurtant le rayon bleu de ce regard, elle se sentit saisie par une fascination, pénétrée d’une flèche aiguë, dont la piqûre, comme celle des dards trempés de poison, lui infusait une flamme dans le sang.

Ce qu’elle lisait, dans ce regard rivé au sien, la