Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/306

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subjuguait tellement qu’elle laissait les minutes s’envoler sans en avoir conscience ; malgré l’extase tremblante où il noyait sa flamme, ce n’était pas là le regard d’un esclave, il avait un éclat dominateur, une impérieuse puissance, qui en irritant la reine l’attirait et la charmait. Elle sentait que, tout en l’adorant, cet homme saurait la protéger, qu’appuyée sur ce cœur elle serait plus forte, plus reine, mais que pourtant elle aurait un maître ; et elle se débattait contre l’enchantement que cette idée lui faisait éprouver, essayant de se révolter, s’abritant, comme d’un rempart, de toutes les impossibilités qui la séparaient du barbare.

Mais leurs regards se jouaient de l’impossible ; franchissant tous les obstacles, ils s’unissaient dans une étreinte délicieuse.

Le jeune homme ne cherchait même pas à obtenir d’elle un mot. Qu’aurait-elle pu dire ? La parole, masque de la pensée, démentirait peut-être ce qu’avouaient si passionnément les yeux ; et il voulait emporter, sans une ombre, le souvenir de cet éblouissement.

D’un geste suppliant, elle le repoussait, et, ne pouvant rompre la chaîne de ce regard, elle se voila les yeux avec sa main.

Alors il s’enfuit, écrasant sur ses lèvres une fleur qu’il arracha, tandis que la reine chancelante se reculait lentement, cherchant un appui, jusqu’à la statue du dieu de l’amour, sur laquelle elle s’appuya, la tête renversée.

Et Kama-Deva, brandissant son arc fleuri, souriait sous sa mitre d’or.