Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/315

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On s’enfonça dans des rues étroites à pentes raides, dont les murs blancs, aux rares ouvertures, étaient coupés d’ombres anguleuses. Parfois même les maisons étaient si rapprochées que les éléphants, trop larges, faisaient craquer les moucharabis de bois à jour, saillant des murs, les emportant à moitié. Puis on déboucha sur de belles places, ombragées, et rafraîchies de fontaines. On s’engagea dans de larges avenues bordées de jardins et de palais. Les hérauts, qui marchaient en tête, criaient des paroles que Bussy, trop éloigné, ne pouvait entendre, mais qui faisaient se prosterner le front contre terre, toute la population gracieuse et bariolée que l’on rencontrait.

— Qu’est-ce donc qui leur prend ? dit le marquis, pourquoi se jettent-ils tous à plat ventre ?

— Mon cher, on vous rend les honneurs royaux, répondit Kerjean ; les timbales battent comme pour le roi ; Salabet ne cesse de répéter, d’ailleurs, que vous êtes son frère aîné, que le roi est au-dessus de tous, mais que Bussy est au-dessus du roi ; qu’il a reçu son trône de vous et de son oncle Dupleix, et qu’il ne peut rien sans votre assentiment.

— Acceptons ces honneurs au nom de la France ; nous n’avons rien fait que pour sa gloire, dit Bussy.

— Certes, vous pouvez accepter, car tout cela vous est bien dû, et le roi sait assez que son trône n’est solide qu’appuyé sur vous. Sans doute les hérauts crient, par son ordre, qu’on doit vous traiter comme lui-même.

Le cortège atteignit une esplanade, entourée d’arbres, au bout de laquelle apparut un palais de marbre