Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/32

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d’atteindre le jeune homme et lui déchira l’épaule d’un coup de patte.

Malgré l’atroce douleur qu’il ressentit, Bussy eut le temps de saisir dans ses bras la femme qu’il venait de sauver et que le cheval, blessé à mort, allait écraser de sa chute. Puis le sang siffla dans ses oreilles, un frisson lui courut dans les membres et sur le visage, et, entraînant l’inconnue, qu’il serrait d’une étreinte nerveuse, il roula dans l’herbe, évanoui.

Bien des heures s’écoulèrent avant que le jeune homme recouvrât le sentiment, et, lorsqu’il lui revint, ce fut d’abord confusément, à travers une fièvre intense.

Une somnolence succédait à l’évanouissement, et, sans qu’il eût encore ouvert les yeux, sur le fond obscur de sa pensée, il vit se détacher lumineusement cette femme, qu’il avait à peine eu le temps de regarder, et dont l’image s’était pourtant, d’un seul coup, gravée dans son esprit, comme l’empreinte d’un sceau dans la cire brûlante. Toute son aventure lui apparut alors, et, si romanesque, qu’elle lui sembla une création de son rêve, et, dans son demi-sommeil, il en continuait les péripéties, selon son désir ; il se voyait pâle, blessé, mort peut-être aux yeux de celle qu’il venait de sauver ; il s’imaginait l’effroi de cette inconnue, si belle qu’il s’avouait que pour la première fois la beauté venait de se révéler à lui ; il voyait son attendrissement, son émotion en face d’un jeune homme inanimé, dont la vie s’échappait à ses pieds en flots pourpres, la détresse avec laquelle elle appelait sa suite si imprudemment devancée ; et les pré-