Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/369

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— Ah ! j’ai peur, Lila, disait Ourvaci, à la fin de cette journée ; près de lui les heures s’envolent comme des minutes et, cependant, ces minutes-là sont plus emplies que toute ma vie passée. Que deviendrai-je lorsqu’il ne sera plus là ?

— L’avenir est à vous, puisqu’il t’aime et que tu l’aimes, dit Lila, mais prenez garde de le compromettre par trop d’impatience. Ne faut-il pas, moi qui ai longtemps combattu la folie de ta haine, que je contienne aujourd’hui l’audace imprudente de ton amour ?

— Ah ! ne gâte pas ma joie en me grondant, dit la reine. Quand je songe que celui qui m’a sauvée de la mort me sauve encore de l’esclavage, et que j’ai voulu deux fois le tuer, mon cœur est déchiré par une atroce douleur ; il est là, mendiant un regard, lui à qui je donne en secret toute mon âme, et tu veux que je détourne les yeux, que je retienne mes larmes !

— Je tremble pour la vie qui t’est chère, comme toi-même tu tremblais, il y a peu de temps encore, quand tu me cachais ton secret. Un tourbillon de bonheur t’entraîne et t’aveugle à présent et te fait oublier tes justes craintes.

— C’est vrai, dit Ourvaci en pâlissant : si le ministre savait mon amour pour celui qu’il hait d’une haine incompréhensible, nous serions perdus. Lila, tu m’épouvantes. Il faudra bien pourtant que la vérité éclate, et que le roi soit proclamé.

— Il faut que Panch-Anan soit brisé avant cela, et si tu n’oses le faire brusquement, usons de ruses quelque temps encore et minons ce pouvoir absolu