Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/431

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t’en conjure. Vas-tu me rendre insensé, quand elle a besoin de moi ?

Lila se passa la main sur les yeux, pour en chasser les larmes.

— C’est vrai, dit-elle d’une voix plus calme, ma raison s’égare. J’aurais dû lui crier tout de suite la vérité : je n’ai pas osé, tant je craignais que l’horreur lui ôtât la force d’agir.

Elle saisit la main de Bussy et la serra d’une étreinte nerveuse.

— Écoute, dit-elle, la reine tout d’abord ne pouvait croire à ton abandon ; elle a attendu, espéré longtemps un mot de toi, puis, quand elle a été certaine que tout était bien fini, avec une douleur terrible dans son calme, elle a déclaré qu’étant abandonnée par celui qu’elle avait librement choisi pour son époux, elle se considérait comme veuve, et qu’elle était résolue à se délivrer de la vie en se brûlant, selon la coutume des veuves. Les brahmanes, et Panch-Anan surtout, l’ont félicitée de cette décision ; ils disaient qu’étant souillée jusqu’à l’âme, par un aussi coupable amour, le feu seul pouvait la purifier, obtenir des dieux son pardon complet et assurer son bonheur après la mort. La reine pria le ministre d’ordonner les préparatifs de la cérémonie du sacrifice. Quand je suis partie, folle de désespoir, pour l’appeler à notre secours, on dressait le bûcher d’Ourvaci ! Et maintenant… — ah ! une telle pensée est intolérable !… cette merveille, dont la vue enchantait le monde, cet être adoré et chéri, n’est plus, peut-être, qu’un monceau de cendres.