Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/435

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m’a ravi l’âme et pénétrée d’une ivresse qui ne s’est plus dissipée, effaceront sous d’autres baisers le souvenir du mien ! Ah ! mort ! viens vite étouffer cette pensée atroce, viens me délivrer d’une torture trop lourde pour ma faiblesse !

Des sons lugubres se firent entendre du côté de la grande pagode, et roulèrent sur la ville éveillée ; les timbales et les cloches alternant, frappées dans le rythme funèbre, annonçaient le sacrifice, le royal holocauste offert aux dieux.

— Voilà ma délivrance qui sonne, dit-elle, on m’attend ; je suis prête.

Elle jeta un dernier regard au-dessous d’elle ; elle aperçut une foule silencieuse, coulant comme des ruisseaux dans les rues, et se dirigeant du côté de la nécropole. C’était le peuple, consterné, qui s’en allait voir mourir sa reine, sa déesse bienfaisante. Les femmes pleuraient en se cachant le visage dans leurs voiles noirs, les hommes avaient les cheveux couverts de cendres, et quelques-uns portaient des instruments de musique, brisés, en signe de deuil.

— Pauvre et cher peuple ! murmura la reine en baissant la tête, mon successeur ne saura certes pas t’aimer comme je t’aimais ! Pardonne-moi de t’abandonner ainsi, aie compassion de la lâcheté d’une femme qui ne peut se résoudre à vivre dans la souffrance. J’avais cependant espéré pour toi une belle destinée, je voulais te donner pour roi un héros puissant et bon qui t’aurait fortifié et défendu ; mais il s’est détourné de moi, il a retiré le bras dont il m’étreignait si tendrement en m’emportant en plein ciel, et