Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/437

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— Dix-huit ans, belle et reine ! Ô cruel bien-aimé, le sacrifice est digne de toi !

Alors elle sortit de sa chambre, suivie de ses femmes sanglotantes, et s’avança d’un pas ferme entre les haies de courtisans et de seigneurs, qui tous pleuraient, s’agenouillaient sur son passage, et baisaient le sol touché par ses pas.

Lorsqu’elle parut sous la galerie extérieure, au sommet de l’escalier, le peuple poussa un grand cri de désespoir, La reine, émue, s’arrêta un moment et laissa errer son regard sur cette foule de têtes levées vers elle, puis elle fît un geste d’adieu et descendit.

Au moment où elle atteignait la dernière marche, un être à chevelure énorme, qui était assis là, le menton entre les genoux, se leva brusquement et darda sur la reine surprise, le rayon de deux yeux noirs, lumineux comme des diamants. Elle tressaillit en reconnaissant le fakir, dont la sainteté était connue, et fit un pas vers lui.

— Ah ! mon père, s’écria-t-elle en joignant les mains, accorde une dernière grâce à celle qui va mourir, toi qui peux tout !

— Que désires-tu, toi dont la beauté semble diviniser la matière ? Que veux-tu de moi, sacrilège enfant, qui vas briser toi-même l’écrin merveilleux de ton âme ?

— Ce que je veux ? dit Ourvaci. Je n’ai pas, comme les veuves ordinaires, dont l’époux meurt après une vie d’amour, la consolation, en quittant la terre, de soutenir sur mes genoux le corps inerte du bien-aimé ; si je pouvais au moins voir une fois encore son