Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/52

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— Ah ! mon ami, le diable le sait, pour moi je me bouche les yeux pour ne pas voir, tant j’ai peur de comprendre.

— Vous m’effrayez ! Notre conquête nous échapperait-elle ?

— Pas précisément. Mais ce que j’avais prévu arrive, hélas ! L’orgueil, et je le crains bien, quelque chose de pire, fait tomber de son piédestal le héros qui nous a conduits.

— Le commandant ?

— Venez ! je vous mettrai au courant.

Et Kerjean entraîna son compagnon vers le logis qu’il occupait dans une maison de la ville.

— Je me suis permis, cher Bussy, lui dit-il, tout en marchant, de faire transporter votre bagage dans cette habitation, qui m’a été réservée pour le temps que nous passerons ici ; je comptais la partager avec vous ; si je vous ai déplu, pardonnez-moi.

— Vous me comblez et je suis vraiment confus de mériter si peu tant de bienveillance.

La maison vers laquelle se dirigeait Kerjean, construite à l’européenne, était située sur la place du Gouvernement, presque en face du palais de Nicolas Morse, où le commandant français s’était logé avec son état-major.

Quand les deux jeunes hommes furent commodément installés dans une chambre, en face de boissons fraîches, et que le panka, grand éventail suspendu au plafond, mis en mouvement par un noir placé dans une pièce voisine, agita l’air, pour rendre la chaleur supportable, Kerjean prit la parole.