Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/54

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tage, dit Kerjean sans s’émouvoir, mais je ne puis rien rétracter, car je ne parle pas à la légère. Notre héros est un corsaire, voilà tout.

— Mais enfin, quelles preuves avez-vous ?

— Écoutez, dit Kerjean en savourant un sorbet à la neige, quatre des plus riches banquiers arméniens de la ville avaient été arrêtés et retenus comme otages ; on leur a rendu la liberté, et les Anglais disent publiquement que c’est : « pour aller chercher quelques petites galanteries pour le général ».

— Les Anglais inventent cette calomnie.

— J’ai mieux encore, pire plutôt, continua Kerjean. Ma bourse se trouvant presque vide, comme cela lui arrive souvent, et me sentant harcelé par mille fantaisies que j’eusse été aise de satisfaire, l’idée me vint d’aller trouver un juif de Madras, dont j’avais entendu parler, et de contracter par son moyen un de ces emprunts désastreux qui ruinent les familles. Par bonheur pour la mienne, le juif était de fort méchante humeur et peu disposé à m’ouvrir son escarcelle. J’étais très contrarié de ce contretemps, mais je ne pus rien tirer du juif, si ce n’est cet aveu, qu’on venait de lever une contribution de cent mille pagodes, pour payer la complaisance du général français, et qu’il avait été imposé, lui, pour sept mille pagodes, chiffre exorbitant, injustice criante, qu’on n’eût jamais osé commettre s’il eût été chrétien ou seulement Arménien. Maintenant, cher ami, libre à vous de ne pas me croire ; si les événements ne parviennent pas à vous convaincre, vous maintiendrez le démenti et je vous rendrai raison.