Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/55

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— Pardon, dit Bussy en tendant la main au jeune officier, mais j’ai reçu un coup au cœur sous la surprise de cette affreuse révélation.

Kerjean serra fortement la main de son compagnon.

— Je vous le répète, dit-il, votre indignation augmente mon estime pour vous.

— Tout n’est peut-être pas perdu encore, dit Bussy après un long silence ; l’enivrement d’une fortune subite a sans doute fait tourner la tête au commandant ; mais il reviendra à son devoir et à la raison.

— Il est grand temps qu’il y revienne, car son escadre court les plus grands dangers dans la rade de Madras, à l’époque où nous sommes : la mousson, cette période de tempêtes furieuses, qui nous visite tous les ans, ne peut plus tarder d’arriver, et si l’amiral laisse surprendre ses vaisseaux, c’en est fait d’eux.

— C’est vrai, dit Bussy, ils devraient être partis déjà.

— Il y a encore autre chose, reprit Kerjean : le nabab du Carnatic, le farouche Allah-Verdi, qui vient de faire assassiner son pupille, pour prendre sa place, montre les dents au gouverneur de la compagnie française et lui demande de quel droit il prend Madras. Mon oncle lui répond qu’il la prend pour la lui rendre, se réservant de la rendre en l’état qu’il voudra, c’est-à-dire complètement démantelée, et, comme il joint à sa réponse maints oiseaux rares et chats de Perse aux yeux bleus, le nabab est momentanément calmé. Mais, si la ville n’est pas rendue dans un temps donné, il se refâchera et peut nous tomber sur le dos avec son armée.