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Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/45

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Quand elle fut tout à fait une jeune fille en âge d’être mariée, l’oreiller lui donna encore de bons conseils, qu’elle eut la sagesse de suivre.

Deux jeunes gens venaient dans la maison de sa mère : tous deux honorables sans doute, puisqu’ils y venaient, mais de caractères bien différents.

L’un spirituel, brillant, mais un peu vain, un peu superficiel, et peut-être plus occupé de sa toilette qu’il ne convient ; l’autre, plus modeste, s’effaçant le plus possible, mais plein de talent et d’une instruction solide.

Ninette préféra d’abord le premier ; cela est tout naturel, l’habit se voit avant le cœur, le gant avant la main ; mais une conversation qu’elle eut avec son oreiller lui fit changer de sentiment.

— Alfred est honnête sans doute ; mais, pendant qu’il court les bals, Eugène, à la lueur de la lampe, veille, étudie, médite, et se couche le matin l’esprit et le cœur pleins de bonnes pensées, tandis que l’autre rentre le corps harassé, l’âme vide ou occupée de fantaisies frivoles. Le patrimoine de l’un ne peut que diminuer, celui de l’autre augmentera toujours, et même, fut-il pauvre, il sera considéré ; car des mœurs pures, un travail opiniâtre joint à un heureux génie naturel, ne peuvent manquer de rendre un nom cé-