Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/44

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recommençait vingt fois la même sonate jusqu’à ce qu’elle eût réussi à son gré ; elle se martyrisait les doigts comme si elle eût voulu s’essayer aux tours de force de Liszt ou de Dreyschock ; sa mère, sa maîtresse, tout le monde était enchanté d’elle : l’oreiller ne fut pas de cet avis.

— Sans doute, lui dit-il un soir à l’oreille, l’émulation est une belle chose, et la musique est un art divin ; mais est-ce bien l’amour du piano et le désir de bien remplir vos devoirs qui vous fait travailler depuis deux mois avec tant d’acharnement ? N’est-ce pas plutôt l’envie de faire de la peine à votre amie Lucy, qui, selon toute apparence, doit avoir le prix, et semble y compter ? En outre, je vous avertis d’une chose : vous ne jouez qu’avec vos doigts et votre volonté ; Lucy joue avec son âme, et, fussiez-vous cent fois plus habile, elle l’emportera sur vous. Ce qui vient du cœur y retourne.

Lucy partagea le prix avec Ninette.

Grâce à son conseiller de plumes et de toile de Hollande, Ninette devint la plus charmante jeune personne que puisse souhaiter l’amour d’une mère ; elle fit, une première communion exemplaire, et le corps de Dieu fut la nourriture d’un ange.