Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/53

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trapé Petit-Pierre, qu’elle ramena d’autorité au quartier de roche sur lequel il était assis auparavant.

— Toi, lui dit-elle gaiement, tu vas rester là jusqu’à ce que je te prie de t’en aller ; le bras un peu plus avancé, la tête plus à gauche.

Et, tout en parlant, de sa main frêle et blanche, elle poussait la joue hâlée de Petit-Pierre pour la remettre dans la pose.

— Mais c’est qu’il a de beaux yeux, Lucy, pour des yeux de paysan, dit-elle en riant à sa femme de chambre.

Son modèle remis en attitude, la folle jeune femme recourut à sa place et reprit son dessin, qu’elle eut bientôt achevé.

— Tu peux te lever et partir, si tu veux, maintenant ; mais il est bien juste que je te dédommage de l’ennui que je t’ai causé en te faisant rester là comme un saint de bois. Viens ici.

Le pâtre arriva lentement, tout honteux, le dos humide et les tempes mouillées ; la jeune femme lui glissa vivement une pièce d’or dans la main.

— Ce sera pour t’acheter une veste neuve quand tu iras à la danse le dimanche.

Le pâtre qui avait jeté un regard furtif sur l’album