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Page:Gautier - La sœur du soleil.djvu/105

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— Je veux parler au chef de la maison, dit l’homme. La servante jeta un regard sur le vieillard. Il avait la tête couverte d’un grand chapeau de jonc tressé, pareil au couvercle d’un panier rond ; son costume, très usé, était en cotonnade brune ; il tenait à la main un éventail sur lequel était indiquée la route à suivre de Yédo à Osaka, la distance d’un village à l’autre, le nombre et l’importance des auberges. La servante regarda la jeune fille. Celle-ci était pauvrement vêtue. Sa robe, d’un bleu passé, était déchirée et sale. Un morceau d’étoffe blanche, enroulé autour de sa tête, cachait à demi son front. Elle s’appuyait sur un parasol noir et rose dont le papier était arraché çà et là ; mais cette jeune fille était singulièrement belle et gracieuse.

— Vous venez pour une vente ? dit la fille d’auberge.

Le vieillard fit signe que oui.

— Je vais prévenir le maître.

Elle s’éloigna et revint bientôt. Le maître la suivait.

C’était un homme d’une laideur repoussante : ses petits yeux noirs et louches se laissaient à peine voir entre l’étroite fissure des paupières ridiculement bridées ; sa bouche, très éloignée d’un nez long et anguleux, démeublée de dents et surmontée de quelques poils roides et clairsemés, donnait une expression piteuse et sournoise à son visage marqué de la petite vérole.

— Tu veux te débarrasser de cette petite ? dit-il en faisant rouler une de ses prunelles, tandis que l’autre disparaissait à l’encoignure de son nez.

— Me débarrasser de mon enfant, s’écria le vieillard. Je ne veux me séparer d’elle que pour la mettre à l’abri de la misère.