Page:Gautier - La sœur du soleil.djvu/314

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— Hélas ! il est mort, dit Tika ; je ne puis que le pleurer avec toi.

— Ne trouves-tu pas que je me suis vite consolée ?

Tika, surprise, leva les yeux sur sa maîtresse elle souriait.

— Mais il m’a semblé… balbutia-t-elle. Je pensais qu’il avait eu tort de se laisser vaincre devant toi.

— Si je te disais qu’il n’a jamais été vaincu, qu’il est vivant…

— Il triomphe dans ton cœur, il est vivant dans ton esprit, c’est ce que tu veux dire.

— Non, il respire encore l’atmosphère terrestre.

— Hélas ! c’est impossible. Sous nos yeux, j’en frémis encore, sa tête pâle a rebondi sur le sol.

— Cet homme, qui est mort devant nous, n’était pas Ivakoura.

— Est-ce que la douleur a troublé sa raison ? se dit Tika en considérant sa maîtresse avec effroi.

— Tu me crois folle ? dit Fatkoura, tu verras, lorsqu’il viendra nous ouvrir les portes de cette prison, si j’ai dit la vérité.

Tika n’osa pas contredire sa maîtresse, elle feignit de croire que Nagato était vivant.

— Mieux vaut cette étrange hallucination que le désespoir qui l’eût accablée ! se disait-elle.

Elles recommencèrent, comme autrefois au Daïri, à parler de l’absent. Elles se souvenaient des paroles qu’il avait dites, des anecdotes qu’il avait contées. Elles cherchaient à imiter l’inflexion de sa voix ; elles reconstruisaient chacune de ses toilettes, se remémoraient ses traits, son sourire, ses attitudes. Souvent elles avaient de longues discussions sur un détail, sur une date, sur une phrase qu’il avait prononcée.

De cette façon les heures s’écoulaient rapidement.