Page:Gautier - La sœur du soleil.djvu/89

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— Le bruit qu’a fait le pont de l’Hirondelle s’écroulant devant mes pas m’a rendu sourd à ta voix. Hiéyas pâlit en présence de celui qu’il avait essayé de pousser vers la mort, il était humilié par son crime. Sa haute intelligence souffrait de ces taches de sang et de boue qui rejaillissaient jusqu’à elle ; il les voyait dans l’avenir obscurcir son nom qu’il voulait glorieux, certain que son devoir envers son pays était de garder entre ses mains le pouvoir dont il était digne plus que tout autre ; il éprouvait une sorte de colère d’être obligé d’imposer par la force ce que l’intérêt public eût dû lui demander avec instance. Cependant, décidé à lutter jusqu’au bout, il releva sa tête, un instant courbée sous le poids de pensées tumultueuses, et il promena sur l’assistance son regard fauve et dominateur.

Un silence menaçant avait suivi les paroles du siogoun. Il se prolongeait d’une façon pénible ; le prince de Satsouma le rompit enfin.

— Hiéyas, dit-il, je te somme au nom de mon maître de déposer les pouvoirs dont tu fus investi par Taïko-Sama.

— Je refuse, dit Hiéyas.

Un cri de stupeur s’échappa des lèvres de tous les seigneurs. Le prince de Mayada se leva ; il s’avança lentement vers Hiéyas et tira de sa poitrine un papier jauni par le temps.

— Reconnais-tu ceci ? dit-il en déployant l’écrit qu’il mit sous les yeux de Hiéyas ; est-ce bien avec ton sang que tu as tracé ici ton nom de traître à côté de mon nom d’homme loyal ? As-tu oublié la formule du serment : « Les pouvoirs que tu nous confies, nous les rendrons à ton enfant à sa majorité, nous le jurons sur les mânes de nos ancêtres, devant le disque lumi-