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le collier des jours

voyait, d’une vasque pareille à une coupe géante, l’eau ruisseler en débordant ; un jeune homme et une jeune fille accouraient pleins d’impatience et tendaient leurs lèvres avidement ; des petits anges voltigeaient au-dessus de la coupe et semblaient les inviter à boire. Je ne tarissais pas de questions sur cette fontaine ; sur ces deux personnages si jolis, qui avaient l’air si altérés et si heureux. « Est-ce que Vaucluse était loin de chez la tante Mion ? — Est-ce qu’elle avait bu de cette eau ? — Fallait-il être habillé comme cela, avec une tunique courte et les jambes nues ? — Quand me conduirait-on à cette fontaine ? » Et en m’endormant, j’entendais longtemps le murmure de l’eau.

Ce n’est que bien longtemps plus tard que j’ai découvert que l’on m’avait trompée, que ce tableau ne représentait pas la fontaine de Vaucluse, mais la Fontaine d’Amour, chose impossible à révéler à une petite fille !… Je n’ai jamais pu séparer de ce souvenir, le chef d’oeuvre de Fragonard ; j’ai beau savoir, maintenant, la vérité, il reste toujours pour moi, la fontaine de Vaucluse.

Tante Zoé me dit un jour, tandis que l’aïeul somnolait dans son fauteuil :

— Tel que tu le vois, ton grand-père est un héros.