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le collier des jours

Baudelaire se tourna vers moi.

— Mademoiselle, me dit-il d’un air solennel, défiez-vous de ce nom d’Ouragan, je vous prédis que vous causerez des naufrages.

Là-dessus, il s’en alla, avec mon père, dans une autre pièce et ma mère nous emmena nous coucher, ma sœur et moi.

On avait dressé un petit lit pour moi dans la chambre de ma mère, où ma sœur avait le sien, que l’on plaçait, le soir, tout contre le grand.

Sous la lumière opaline et douce de la veilleuse, je m’endormis bientôt, la tête bourdonnante d’une journée si pleine d’événements.

Pour la première fois, j’eus, la nuit, une légère crise de somnambulisme. Ma mère, éveillée par le bruit, me vit me promenant dans la chambre, d’une allure bizarre, cherchant sur les tables en tâtonnant, ouvrant les tiroirs, avec les gestes lents et en regardant ailleurs.

Elle m’observa quelque temps, puis me dit, à voix basse pour ne pas éveiller ma sœur :

— Qu’est-ce que tu fais là ?…

— Je cherche le numéro six, répondis-je.

— Eh bien ! va te coucher, tu le trouveras plus tard !

J’allai me coucher sans répliquer et je ne bougeai plus. On me raconta cela à mon réveil, car je ne me souvenais de rien.