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le collier des jours

similitude extraordinaire de goûts et d’opinions artistiques ; une parenté d’esprit très singulière, qui leur créa même, à propos du feuilleton du lundi, qu’ils faisaient tous deux dans des journaux différents, de bien curieux embarras. Ils évitaient, cependant, de se faire part de leurs impressions, quand ils se rencontraient au théâtre. Ils causaient de littérature ou discutaient des questions d’art, mais ne soufflaient mot de la pièce qu’on représentait : ils savaient bien que, même sans se rien dire, ils ne seraient que trop du même avis. Plusieurs fois, en effet, il leur était arrivé, sans qu’il fût possible de soupçonner l’un ou l’autre de plagiat, les articles paraissant à la même heure, d’avoir écrit des pages presque identiques. Mon père racontait que, maintes fois, en commençant son feuilleton, il avait biffé ce qu’il venait d’écrire, pour prendre un autre point de départ, se disant : « Saint-Victor va commencer comme cela » et il était rare qu’il ne trouvât pas exprimée, dans les premières lignes de l’article de son confrère, l’idée qui s’était d’abord présentée à lui.

Quelquefois, c’était plus étrange encore. Tandis que mon père se disait : « Saint Victor va penser ainsi », Saint-Victor, de son côté, pensait : « Gautier aura cette idée-là » et, tous deux alors, pour éviter la rencontre, laissant la route