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le collier des jours

qui s’était d’abord offerte à eux, prenaient un même sentier de traverse, qui, à leur joyeuse surprise les remettait face à face.

À nous, Paul de Saint-Victor faisait un peu peur, par sa gaîté moqueuse, la torsion de ses sourcils, ses moustaches en crocs, si noires et si aiguës, et par la raideur de son cou, qui semblait ankylosé par le carcan du faux-col éblouissant.

Edmond About, que l’on appelait toujours, je ne sais trop pourquoi : « Le jeune About, âgé de vingt-sept ans », venait aussi. Mon père savait très bien imiter sa manière de rire en fronçant le nez et en fermant tout à fait les yeux ; il s’exécutait sans se faire prier, dès que nous lui disions : « Papa, fais About. »

Mais celui qui m’enthousiasma du premier coup, ce fut Gustave Flaubert. Il m’apparut tout de suite comme un personnage prodigieux et colossal, avec sa haute taille, ses larges épaules, ses beaux yeux bleus, frangés de longs cils noirs et sa moustache de chef gaulois.

Il disait souvent : « C’est énorme ! » en rejetant ses bras en arrière et en se penchant vers son interlocuteur, comme s’il eût voulu lui donner un coup de tête dans l’estomac.

À table, il racontait de monstrueux paris, dans lesquels on s’engageait à boire des barils