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le collier des jours

À tout moment, l’une ou l’autre des tantes se levait, pour aller prendre les plats ou les remporter, car il n’y avait pas de domestique.

Mon grand-père, contraint à un moment de sa vie, par des revers de fortune, à chercher un emploi, avait été chef de bureau à l’octroi de Passy ; maintenant c’était la maigre retraite, à peine suffisante, la vie restreinte et, pour les filles, qui dépassaient la trentaine, l’avenir sans issue, le définitif renoncement aux espoirs tenaces, tous les rêves secrets fauchés, avant d’avoir pu fleurir ; le dévouement résigné au père vieilli et aigri.

Cette route de Châtillon, c’était à peu près le désert. Elle était régulièrement tracée, avec des trottoirs de chaque côté, mais il n’y avait pas de maisons, ou fort peu. Des palissades, bordant des potagers, quelques murs, dépassés par des arbres, longeaient le trottoir, surtout de notre côté. En face, il n’y avait rien, rien qui gênât la vue sur la plaine, qui s’étendait jusqu’à l’horizon. Tout d’abord cette immense étendue m’en imposa. Le ciel surtout, le ciel éblouissant, me causait une extrême surprise. Jamais je n’en avais vu, encore, un aussi grand morceau, et devant tant de lumière, tant d’air, tant d’espace, une sorte de vertige m’empêchait de traverser la chaussée.

Je me contentais de regarder, du seuil de la