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le collier des jours

En effet, il paraissait, brandissant sa terrible canne, marchant dans l’herbe à grandes enjambées et m’invectivant, dans la langue pittoresque de la Gascogne, d’où il était.

J’avais vite fait de détaler et il avait beau courir !

Notre manœuvre consistait à regagner à toutes jambes, par un grand détour, la route de Châtillon, pour rentrer par la porte de la maison ouvrant de ce côté. Quand le grand-père revenait, hors d’haleine, par le jardin, je me cachais, afin de laisser passer sa colère.

Le soir, à table, pour me punir, on changeait mon couvert de place. Je n’étais pas à côté de grand-père ! Je me montrais sensible à cette privation, — qui ne me privait guère, — pour qu’on n’imaginât pas d’autres représailles.

Elle était bien extraordinaire cette table où nous dînions. En acajou, foncé comme un beau marron d’Inde, d’une taille inusitée, elle eût empli toute la salle si on avait essayé d’en déplier les battants, épais de plusieurs centimètres. Aussi était-elle accotée à la plus longue cloison et toujours repliée, sauf aux heures des repas on relevait un battant. Nous y étions drôlement installés, à côté les uns des autres, sur un seul demi-cercle ; avec la muraille pour vis-à-vis.