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le collier des jours

pée, avec une garde-robe somptueuse et un lit complet, en acajou. J’avais pour cette majestueuse personne un certain respect ; j’en prenais grand soin et je ne la sortais que quand il faisait beau ; mais cependant elle ne m’amusait que médiocrement ; je n’aimais en réalité que les petites poupées de bois articulées, que l’on appelait : poupées à ressorts et qu’on ne trouve plus nulle part aujourd’hui ; on pouvait les acheter partout, alors, chez les épiciers, chez les merciers. Elles coûtaient un sou, et même, les plus petites, un sou les deux !

Je n’en avais jamais assez ; c’était chez moi une véritable manie, tout l’argent, que je pouvais récolter, passait en achats de poupées à ressorts ; je ne réclamais jamais d’autre jouet, aucun, hors celui-là, ne m’intéressait. J’habillais toute ce petit monde avec des bouts de chiffon et même des bouts de papier, et je les groupais de toutes sortes de façons. J’imitais les baptêmes, les processions de la Fête-Dieu, les funérailles ; toutes choses dont l’église m’avait donné le spectacle ; ou bien j’inventais des scènes, des batailles, des danses, d’une haute fantaisie. Nini Rigolet était toujours naturellement mon public. Soumise et patiente, elle ne parvenait pas à s’illusionner autant que moi, ni à comprendre toujours mes étonnantes inventions ; mais elle s’y efforçait, sans se lasser,