Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/168

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Revenu dans sa chambre, où brûlaient les quatre lampes odorantes, il jeta les yeux sur le poème qu’il composait avant l’arrivée de la jeune fille.

— Ah ! ah ! Voilà ce que j’écrivais avant de l’avoir vue. Il n’y a pas une heure que je la connais, et pourtant je n’écrirai plus jamais rien de semblable ; je ne saurais même pas finir le vers commencé. Celui qui me verra désormais ne reconnaîtra pas le prince Ling ; comme le voyageur qui trouve au retour son champ inondé par le fleuve se dit : « Ce lac brillant sous le ciel peut-il bien être la plaine féconde où se dressaient autrefois les grands épis ? » ainsi mes amis s’étonneront devant moi.

Le prince froissa le papier où s’alignaient ses vers anciens.

— Aux Yé-Kiuns, esprits des ténèbres, l’étude, la morale et les sages maximes ! Grands philosophes que je vénérais, je vous quitte ; vous n’êtes plus mes conseillers ni mes maîtres ; mon cœur ne peut contenir désormais que la joie ou le désespoir.

Le prince trempa un pinceau dans l’encrier et écrivit sur une page blanche :


J’étais pareil à un pavillon inhabité au milieu d’un lac glacé par l’hiver.

Sous le ciel noir, lourd de pluie, dans les arbres grêles et dépouillé, les oiseaux, gonflant leurs plumes, dormaient tristement, croyant que c’était la nuit.

Mais soudain le grand soleil s’épanouit ; le toit d’or du pavillon s’éclaire et sur le lac fondu fleurissent les tulipes d’eau ;