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Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/191

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Vers la onzième heure la cigogne s’envola du toit de la maison et franchit le lac rapidement ; mais bientôt son ascension se ralentit. À quelques pieds au-dessous de la terrasse, elle s’arrêta, ne pouvant aller plus loin. Ko-Li-Tsin ne respirait pas. L’oiseau s’était posé sur la balustrade de l’étage inférieur. Il essayait par moments de s’élever encore, puis retombait. Son maître, penché vers lui, l’appelait et lui montrait de la nourriture. La cigogne fit un effort suprême ; elle s’approcha, posa son bec sur le rebord de porcelaine, et le poète, tendant les bras, la saisit et l’amena sur la terrasse.

— Enfin, s’écria-t-il, belle cigogne, tu m’as sauvé. Je ferai pour ta gloire plus de cent poèmes.

L’oiseau avait à la patte le bout d’une corde de soie mince mais solide. Cette corde s’éloignait de la tour, franchissait le lac et se perdait dans les vapeurs d’un jour d’automne. Après l’avoir attachée au milieu d’une autre corde qui reliait, en flottant, les deux pointes de son animal, Ko-Li-Tsin n’eut que le temps de se précipiter dans la cellule, car le geôlier venait d’y entrer. L’espion sorti, il revint sur la terrasse et attacha à l’extrémité inférieure du monstre léger une interminable queue formée des cent lambeaux liés ensemble de sa propre robe déchirée. Puis il attendit, assis sur la balustrade, les jambes dans l’espace. Son cœur battait, il avait le visage blême, mais aucune hésitation ne passa dans ses yeux.

Le soir monta. Les vents étaient furibonds. La machine de bambou et de papier claquait à se briser.