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Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/198

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Et je vais jeter dans la mer une fleur que le vent poussera jusqu’au navire.

La petite fleur, quoique morte, danse légèrement sur l’eau ; mais moi, je chante avec l’âme désolée.


— Par tous les Mandarins de l’Enfer, s’écria Ko-LiTsin, l’eau est froide pendant le onzième mois comme la neige des montagnes de l’Ouest, et coupante, lorsqu’on tombe de si haut, comme mille lames d’acier. Mais les dalles des rues ou les dragons des toitures eussent été plus fâcheux encore.

Le poète secoua sa tête hors de l’eau et regarda de tous côtés la pâleur limpide du lac où se mirait la lune.

— Où suis-je ? dit-il ; que les rivages sont éloignés ! Je suis las et brisé de ma chute. Mes larges manches s’emplissent d’eau ; mes semelles pèsent comme des blocs de plomb, et il me semble que je traîne après moi un flot inerte de lourds cadavres.

Ko-Li-Tsin nageait péniblement et ne savait de quel côté se diriger ; il s’essoufflait de plus en plus.

— Après avoir volé dans l’espace comme les Sages immortels, disait-il, vais-je me noyer ici comme un chien blessé ?

Il luttait courageusement, mais devenait plus lourd à chaque mouvement. Ses tempes battaient ; il fixait des yeux hagards sur les reflets de la lune éparpillés à la surface de l’eau. Tout à coup une petite barque passa dans la clarté. Ko-Li-Tsin jeta un cri, battit l’eau de ses mains, puis, exténué de ce dernier effort, se laissa couler. Il n’avait pas