Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/224

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à une foule obscure : petits commerçants, bimbelotiers, revendeurs, raccommodeurs de porcelaine, marchands de vieux livres noircis à demi rongés par les rats, fabricants de verroteries, de petits bijoux en métal faux, de bracelets en jade commun ; c’est là aussi que logent, après leur journée terminée, les barbiers ambulants, les cuisiniers, les marchands d’eau, les forgerons en plein vent. Les façades des maisons, construites en briques et en bambou, disparaissent, bariolées d’affiches de toutes sortes, qui sont des satires, des proclamations, des sentences, des maximes, des pièces de vers placardées par un poète dédaigneux des libraires, ou des critiques moqueuses des mœurs, du costume, du visage de quelque grand dignitaire.

Une multitude vulgaire et mal vêtue piétine dans la poussière épaisse de la Rue de Kou-Toung. Des enfants, accroupis sur des tas d’ordures, jouent au prêteur sur gages : le nez chargé d’une paire de lunettes en papier, l’un estime, regarde, retourne avec mépris les trognons de choux que lui présentent ses camarades et discute le nombre de cailloux qu’il prêtera sur les trognons, avec les grimaces d’un vieil usurier. Les marchands et les habitants des maisons passent la plus grande partie de la journée assis devant leur porte sur des nattes de bambous, s’interpellant l’un l’autre, riant bruyamment et assaillant les passants de mille quolibets hardis.

Une des maisons les moins misérables et le plus solidement construites de la Ruelle de Kou-Toung