Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/242

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cagée et pillée, les vainqueurs y mettent le feu et s’éloignent.

Dans les rues on trébuche sur des mourants qui se tordent, les pieds glissent dans le sang qui fume. De tous côtés des cris aigus de femmes se mêlent aux gémissements des soldats et aux imprécations des rebelles. On entend aussi les pétillements des flammes joyeuses qui commencent à prendre leur part du désastre.

Cependant le gouverneur de la ville est monté sur la terrasse de son palais. Il veut tenter un suprême effort pour apaiser les sauvages vainqueurs. Couvert de ses somptueux habits, il s’avance jusqu’à la balustrade et y pose la main. Son front est blême, mais tranquille. Sa main pâle ne tremble pas. Il parle d’une voix claire et forte qui domine le tumulte :

— Vainqueurs, dit-il, pourquoi êtes-vous plus féroces que les tigres et les lions ? Avez-vous donc oublié les sages maximes des philosophes, qui ordonnent la magnanimité après la victoire ? ou bien êtes-vous d’une race où les conseils des philosophes sont dédaignés ? À quoi vous sert ce surcroît de sang versé, puisque le combat est terminé et que Koan-Ti vous a fait victorieux ? Après nous avoir humiliés et défaits, que voulez-vous encore ? Notre or ? nous vous le donnerons ; loyalement nous viderons nos coffres, sans garder pour nous un tsien de cuivre, et demain nous irons vous mendier un peu de riz. Mais au moins laissez vivre nos parents vénérables et nos fidèles épouses.