Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/257

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ment, en balançant la tête d’un air horriblement caressant, s’approcha du svelte animal, qui continuait à boire, paisible. Kang-Shi se leva d’un bond, et prenant son élan, sauta sur l’autre rive. L’ours avait déjà saisi le daim. Il s’était couché sur le dos et avant de le tuer, s’amusait à le rouler entre ses pattes sans lui faire aucun mal. L’empereur tira les deux sabres croisés derrière son dos et s’avança. L’ours renversa la tête et, ouvrant sa large gueule, regarda Kang-Shi d’un air doux.

— Attends ! traître, dit l’empereur, tu as l’air de rire et de te moquer de moi, mais tout à l’heure tu mugiras de douleur.

Il le frappa d’un coup de sabre faiblement et avec précaution, craignant de blesser le daim. L’ours devina un adversaire dangereux, lâcha sa proie et se remit sur ses jambes, tandis que le daim fuyait rapidement.

— Très bien ! dit Kang-Shi. À présent, à nous deux.

Et, placé en face de l’ours, il faisait de grands gestes terribles. L’animal s’était assis sur son derrière et balançait sa tête, la gueule entr’ouverte. L’empereur se jeta sur lui et lui enfonça ses deux sabres dans la poitrine ; l’ours, furieux de douleur, le saisit entre ses lourdes pattes et lui fit sentir ses griffes dans les épaules ; puis, d’un mouvement brusque, attira son adversaire et le serra à l’étouffer contre ses poils souples. Kang-Shi se vit inondé du sang de la bête, et ses nobles narines étaient offensées par une odeur violente et fauve. Alors, d’un