Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/256

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mandarins, cueillant çà et là une pivoine et roulant dans son esprit des rythmes poétiques.

Il se trouva bientôt seul et s’assit près d’un ruisseau, le sourire aux lèvres, l’âme bienveillante ; il ne songeait plus à son empire ni à sa gloire ; il se sentait libre et enveloppé par la nature, et tout bas il récitait des vers champêtres.

Il entendit un petit bruit doux, furtif, hésitant ; il tourna la tête et vit un daim, blanc comme le jade, qui, tenant en l’air une de ses fines pattes, le regardait avec de grands yeux clairs.

— Oh ! l’adorable bête ! s’écria-t-il, ne remuant pas de peur de l’effrayer. N’est-elle pas le Génie de la vallée ? En la voyant, j’ai pensé à la douce impératrice.

Le daim, faisant rouler quelques pierres sous ses pieds, s’approcha du ruisseau et le franchit d’un bond léger.

— Ah ! il s’en va, dit Kang-Shi attristé.

Mais le daim, sur l’autre rive, se retourna, et, penchant le cou vers l’eau, y trempa son mufle couleur de neige. L’eau refléta sa jolie tête et ses minces pattes de devant.

— Je comprends, dit l’empereur, il voulait boire ; par prudence, il a mis le ruisseau entre nous deux.

Et il continua d’admirer les coquets mouvements de la bête blanche. Mais, depuis quelques instants, derrière elle une grande broussaille, d’où jaillissaient par places des morceaux de rochers noirs, s’agitait tumultueusement avec un bruit étrange. Un ours en sortit, cassant les branches, et, lente-