Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/299

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cheval, le prince Ling enfila les larges avenues dallées du quartier de la Force, pénétra dans le jardin impérial, s’arrêta devant un merveilleux kiosque de laque posé au milieu d’un lac clair dans une touffe multicolore de fleurs au chaud parfum et nommé le Pavillon des Tulipes d’Eau, sauta à terre, passa un pont en bois doré, et, entrant dans le pavillon, déposa Yo-Men-Li sur des coussins de satin pâle.

— Toi ! toi ! cria-t-il en s’agenouillant auprès d’elle, toi que j’ai tant attendue, tant pleurée, toi que j’ai si souvent enlacée dans les illusions de l’opium, toi que j’ai appelée si douloureusement dans la cruauté des nuits fiévreuses, te voilà, tu existes, tu n’étais pas une Rou-li, une fausse apparence ! Mon cœur gonflé et fier emplit ma poitrine. J’étouffe. Le bonheur me déborde. Je suis comme un lac longtemps desséché sur lequel on ouvre soudain une écluse : l’eau, trop abondante, se précipite en tumulte et bientôt envahit la plaine. Vois, je pleure, et ces larmes de joie sont un baume pour les blessures qu’ont faites à mes yeux les larmes de désespoir. Je ne te quitterai plus, je m’attacherai à toi comme le guerrier s’attache à la gloire, comme la plante est attachée à la terre. Je fleurirai sur ton cœur, je m’élèverai plus haut que les cèdres et je serai plus grand que l’empereur, mon père, afin que ma splendeur plaise à tes yeux !

Yo-Men-Li regardait le prince avec indifférence.

— Mais parle-moi, continua-t-il ; parle, pendant que je baisserai les paupières pour mieux entendre