Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/301

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glorieux des hommes ! dit-il. Tu as voulu cela, et moi, fils monstrueux, je t’aimais !

Le prince, quelques instants, demeura silencieux, la tête baissée.

— Eh bien ! je t’aime ! s’écria-t-il bientôt. Tu as frappé la poitrine sacrée de mon père vénéré ? N’importe ! Criminel et lâche, je t’aime ! C’est en vain que je souffle sur mon cœur pour y agiter une tempête, il reste calme. Je sens une grande douleur ; je n’éprouve pas de colère. Je demanderai ta grâce. Je dirai que Koan-In, la bonne déesse, a ouvert la porte de l’enfer aux criminels, et que les criminels sont devenus des Génies vertueux. Je dirai que tu es une femme, que tu as seize ans, et que je t’aime ! Je dirai que je vis de ta vie, que je mourrai de ta mort ; et mon père au grand cœur pardonnera.

— Je ne veux pas de son pardon, dit Yo-Men-Li en détournant la tête.

— Tu ne veux pas, s’écria le prince avec douleur, tu ne veux pas que je te fasse heureuse ? Tu ne veux pas de ma puissance, de ma fortune, de ma gloire ? Que t’ai-je fait ? Je t’aime, je pleure, je te cherche dans l’ivresse. Hautain avec tous, je suis devant toi comme un vil esclave ; tu es le prince, je suis le peuple au front courbé. Mais tu dédaignes de m’infliger des impôts. Pourquoi détiens-tu ma joie ? Pourquoi, avec un doux visage, as-tu le cœur plus cruel que le lynx au corps souple ?

— Parce que je ne t’aime pas, dit Yo-Men-Li.

— Oh ! ne dis pas cela ! soupira le prince Ling,