Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/35

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on se coudoie, on crie. Des groupes de plaisants se forment çà et là, écrivant sur les murs des sentences facétieuses ou d’impertinentes épigrammes adressées à quelque grand dignitaire, et la foule autour d’eux les approuve et se pâme de rire. Des deux côtés de l’avenue, devant les maisons, des marchands de ferrailles, de poissons, de gibier de Mongolie, des ravaudeurs, ont dressé des baraques afin d’y installer leurs industries, ou s’abritent simplement sous de grands parasols carrés, bleus, gris, blancs, roussâtres ; ils vocifèrent, hurlent, chantent, imitent des cris d’animaux, choquent des tams-tams, secouent des clochettes, et font claquer des claque-bois, pour attirer l’attention des chalands qui se pressent entre deux rangs d’étalages bariolés. Des cuisiniers ambulants activent sans relâche le feu de leurs fourneaux ; le riz fume, la friture grésille, et plus d’un gourmand se brûle le bout des doigts. Un barbier saisit un passant, qui ne s’attendait guerre à cette agression, et, roulant autour de sa main la longue natte du patient, le renverse en arrière et lui rase le crâne avec vélocité. Des bandes de mendiants gémissent à tue-tête ; une troupe de musiciens fait un tapage assourdissant ; un orateur, monté sur une borne, s’égosille, tandis que des volailles égorgées glapissent aigrement et que des forgerons battent le fer, et que des marchands d’eau poussent leur cri aigu en laissant quelquefois tomber sur le dos de la foule le contenu de leurs vastes seilles.

Des chameaux à grands poils fauves, en longues files, reliés entre eux par la même corde attachée à