Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/37

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de s’engager dans les longs passages tortueux qui, des carrefours, vont rejoindre obliquement l’Avenue du Centre. Ces passages, couloirs étroits, se signalent aux passants par les odeurs fétides et la vapeur noirâtre qu’exhale leur entrée obscure. Mal éclairé, de quelques lampes qui fument et tremblotent, enduit d’une boue glissante où sont épars des débris informes, des tessons, des morceaux de vieux souliers, des loques inconnues, leur terrain se bosselle périlleusement entre deux rangées d’affreux taudis branlants, construits de planches qui proviennent de démolitions et qui montrent encore çà et là un angle sculpté ou une ancienne dorure déshonorée par cent macules. Ce sont des boutiques, et, sous le prétexte de faire commerce d’objets d’art anciens, des brocanteurs y entassent d’horribles vieilleries poussiéreuses : porcelaines fêlées, pots écornés, costumes déteints, pipes noircies, bronzes bossués, fourrures mangées des vers, engins de pêche rompus, bottes moisies, arcs sans cordes, piques sans pointes, sabres sans poignées. Blottis, enfoncés, engloutis dans ces encombrements de viles antiquailles, les marchands s’efforcent de ne pas étouffer entièrement ; au-dessus de chaque étalage, se dresse une vieille tête jaune, pointue, au crâne pelé, aux yeux cerclés d’immenses lunettes, qui célèbre sans relâche d’une voix glapissante les rares splendeurs de la boutique. Mais l’acre fumée des lampes chatouille si désagréablement la gorge, les loques décolorées qui se balancent en guise d’enseigne et semblent des rangées de pendus, sont pleines de