Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/53

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celui-ci, ajouta le marchand de dîners en désignant Ta-Kiang, ressemble à l’homme qui a été décapité : avec même visage, il aura même sort.

Ko-Li-Tsin, précipitamment, saisit son encrier, l’ouvrit, y trempa son pinceau, et plongeant sa main dans sa botte de satin noir il y prit ses tablettes et traça quelques caractères.

— Qu’écris-tu là ? demanda Yo-Men-Li.

— L’ordre, dit Ko-Li-Tsin, de faire donner cent coups de bambou à ce bavard lorsque Ta-Kiang, empereur, sera assis dans la salle du Dragon entre Yo-Men-Li, sa première épouse, et Ko-Li-Tsin, son premier mandarin.

Cependant le soir montait. L’obscurité et le silence s’établissaient dans les rues. Au loin le bourdonnement du gong ordonnait la fermeture des portes. Les veilleurs de nuit commençaient à rôder, portant des lanternes à leurs ceintures et faisant s’entre-choquer de petites plaques de bois pour mettre les voleurs en fuite et tranquilliser les honnêtes gens. Quelques passants attardés regagnaient à la hâte les ruelles transversales, déjà closes de barrières à claire-voie, échangeaient à voix basse deux ou trois paroles avec le Ti-Pao, gardien du quartier, puis longeaient les murs noirs ; et l’on entendait leurs semelles claquer sur les dalles.

— Ces gens-là vont souper, dit Ko-Li-Tsin. Mon estomac entre en révolte. Il me rappelle, comme si je ne m’en souvenais pas, que l’heure du repas du soir est depuis longtemps passée. Que puis-je lui répondre ? Absolument rien. Ta-Kiang se nourrit