Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/66

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« Voilà la grive qui a chanté pour le doux Ouen-Tchang ! » Or, Grand Bonze, comme Ouen-Tchang, l’usurpateur, issu d’un père mongol, se plaît à entendre les sons gracieux d’un chant bien rimé ; mais, ajouta l’orateur en regardant les Chefs de Troupes non sans quelque mépris, ce n’est pas au cou des poètes qu’il attache les colliers somptueux.

Le lettré se tut, salua de nouveau avec grâce, puis sourit vers ses collègues en lissant délicatement son sourcil gauche du bout de l’ongle très long de son petit doigt.

— Et vous, dit le Grand Bonze en s’adressant aux hommes tumultueux qui appartenaient aux castes inférieures des Cent familles, que reprochez-vous à Kang-Shi ?

Cent voix éclatèrent, répondant :

— Nous lui reprochons d’avoir posé sur notre cou son pied tartare ! C’est lui qui nous contraint à porter de ridicules nattes entre nos deux épaules ! Chinois, nous voulons un maître chinois ! En haut les Mings, en bas les Tsings !

— En haut les Mings, en bas les Tsings ! répéta furieusement l’assemblée tout entière, et le Grand Bonze s’écria : « Gloire à Koan-In, qui unit tous nos esprits dans une seule volonté ! »

Puis, quand le silence fut rétabli, il ajouta :

— Mais il ne suffit pas de vouloir d’une façon vague et incertaine. Kan-Shi doit mourir ; qui le frappera ? Kang-Shi frappé, qui régnera ?

Ces paroles gravement prononcées rendirent les auditeurs pensifs. En effet, qui régnera ? se disaient