Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/78

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gitif, sûrs de l’atteindre dans le jardin bien clos. Leur maître les excitait de la voix, et courait lui-même aussi vite que son embonpoint le lui permettait. Mais Ko-Li-Tsin enjambait les touffes de reines-marguerites, sautait par-dessus les rochers hérissés de cactus, franchissait les petits lacs artificiels, et ainsi se dérobait assez facilement aux domestiques, qui, de crainte d’être battus, respectaient les fantaisies des allées. Ne trouvant pas d’issue, il revint sur ses pas. Son agilité défiait les bâtons menaçants, qui frappaient au hasard les ténèbres. Il passa sous la fenêtre où riaient les deux jeunes filles, il leva la tête vers elles, et la lueur des lampes tomba sur son visage.

— Ce n’est pas lui ! s’écria la servante.

— C’est un jeune homme, dit la maîtresse.

Ko-Li-Tsin était déjà loin. Après lui la meute des valets traversa rapidement le sillon clair qui tombait de la fenêtre, et, les suivant à grand’peine, furieux, pourpre, en sueur, le mandarin haletait derrière eux.

— Qu’il est agile pour son âge ! grommelait-il. C’est la peur qui le rend léger comme une cosse vide. Mais il ne m’échappera pas.

Et le respectable père de famille continuait à courir inégalement, trébuchant à chaque pas, entraîné tantôt à droite, tantôt à gauche par le poids de son ventre majestueux.

Cependant Ko-Li-Tsin échappait toujours aux bambous exaspérés. Il faisait de brusques voltes-faces, laissait ses ennemis entraînés par l’élan le