Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Explique-toi. Si tes raisons sont bonnes, je te laisserai passer.

— Oh ! moi, je ne tiens pas beaucoup à passer ; mon poisson m’a été payé d’avance par le Chef des Dix Mille Eunuques, qui m’attend en ce moment ; et je ne risque rien, puisque je dirai que c’est toi qui m’as empêché de remplir mon devoir.

L’homme était déjà au milieu du pont ; le soldat courut après lui.

— Mais entre donc, queue de mulet, groin de truie, misérable, qui veux me faire mettre à la cangue par méchanceté ; tu vois bien que je ne t’empêche pas d’entrer, gueux fétide !

Et il le poussa brusquement dans la Cité Jaune.

Le marchand de poisson traversa de grandes places aux dalles grises, suivit de larges rues tranquilles, longea le rempart de brique qui enferme la Ville Rouge ; puis arrivé à la Montagne de Charbon, il la gravit et s’arrêta près d’un palais superbe, au toit couleur d’émeraude. Les portes étaient grandes ouvertes sur la cour d’honneur ; l’homme entra, et ne voyant personne, après avoir un peu hésité, frappa de son poing fermé un gong suspendu à un arc de pierre porté par deux lions cabrés. Aussitôt des serviteurs accoururent des différents côtés, donnant des signes d’une vive émotion qui se changea en colère, quand ils aperçurent celui qui avait fait sonner le bronze.

— Veux-tu donc mourir sous le bâton ? lui cria-t-on, un vermisseau tel que toi faire vibrer le gong qui n’annonce que des mandarins ou des princes !