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le second rang du collier

lonté de son père, avait voulu être peintre. Il avait fait ses études de dessin presque en cachette et travaillé très sérieusement, se croyant la vocation. Il espérait désarmer sa famille en lui prouvant qu’il valait vraiment quelque chose : devant sa décision irrévocable de suivre la carrière artistique, on lui avait coupé les vivres, en lui promettant de le déshériter, ce qui n’avait fait que le fortifier dans son vouloir.

— C’est très beau de faire des sacrifices à son art, dit mon père ; mais c’est grave aussi de renoncer à une belle situation, pour se jeter dans une lutte incertaine et périlleuse. À ceux qui viennent me consulter sur leur vocation littéraire, je demande toujours : « Avez-vous de quoi vivre ?… » S’ils me répondent non, je leur conseille de se faire épicier, bottier, récureur d’égouts, tout plutôt que littérateur… J’en ai peut-être sauvé quelques-uns.

— Mais je n’ai pas à me plaindre : j’ai envoyé trois tableaux au Salon et ils ont été reçus ! s’écria Madarasz avec fierté.

— Avoir du talent n’est pas une raison pour réussir, au contraire !… Qu’est-ce qu’ils représentent, vos tableaux ?…

— Le principal a pour sujet : la Mort de Ladislas Hunyady, ban de Croatie. C’est un catafalque entre quatre cierges, sur lequel le mort, décapité, est étendu.