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le second rang du collier

— Sujet assez farouche et pas très folâtre ! dit mon père. Je vous promets de voir votre œuvre et de la présenter au public. Mais, cette année, le Salon est arrangé par ordre alphabétique. J’ai suivi cet ordre et j’intitule mon compte rendu : « l’Abécédaire du Salon ». Je n’en suis qu’au B. Vous vous appelez Madarasz : il faudra revenir quand j’en serai à l’M.

Le jeune homme se leva, comme mu par un ressort, croyant que cette phrase l’invitait à prendre congé ; mais mon père le rattrapa.

— Je ne vous dis pas de vous en aller ! s’écria-t-il, mais seulement de revenir, quand j’en serai à votre lettre, pour que je n’oublie pas… D’ailleurs, je n’oublierai pas : vous êtes assez particulier pour que l’on se souvienne de vous, et je suis curieux de voir ce « ban de Croatie » entre ses quatre chandelles…

Mon père, maintenant, avait mis son monocle et admirait naïvement le jeune Hongrois.

— Êtes-vous heureux d’être d’un pays où il est de rigueur de porter un aussi joli costume !… Est-ce simple, élégant et commode !… Moi qui ai, en vain, tenté de réagir contre notre hideux affublement et me suis couvert de ridicule, aux yeux des bourgeois, en revêtant les toilettes les plus truculentes, j’avoue que je vous envie… Surtout ne vous avisez pas, sur le conseil de M. Prudhomme, de renoncer à votre originalité, pour être comme tout