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le second rang du collier

furent recommandés par nos amis. Notre cher camarade Nono, que nous considérions comme un oracle, incapable de se tromper, nous affirma très sérieusement qu’un petit carré de papier posé sur l’estomac était ce qu’il y avait de mieux. Il expliquait que le frottement du papier contre la peau occasionnait une diversion qui préservait du mal de mer.

Le directeur du Moniteur, Dalloz, partait aussi pour Londres, et il emmena mon père, qui devait assister avec lui à des inaugurations et à des cérémonies officielles. Il était convenu que nous le suivrions quelques jours après avec ma mère, et Henriette, une nouvelle femme de chambre, car depuis quelque temps Marianne, la bonne qui nous avait élevées, était promue à la dignité de cuisinière.

Nous devions entrer à Londres par la Tamise, après nous être embarquées à Boulogne. C’était au mois de mai : le temps était beau, et pourtant la mer moutonnait un peu ; en dépit du préservatif recommandé par Nono, je dus subir le mal de mer, auquel ma sœur échappa. À l’aube, j’étais affalée dans ma cabine, affreusement malade et me récitant tout bas, avec une rapidité fiévreuse et sans pouvoir m’en empêcher, des vers de la Légende des Siècles, lorsque Estelle, très vaillante, et qui avait, paraît-il, le pied marin, vint me chercher, sous prétexte que l’apparition du soleil sur la mer était un