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Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/178

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le second rang du collier

Croisset, habitait un entresol dans cette région du boulevard. C’était sur notre chemin, et nous ne manquions jamais, en passant, de monter chez lui. Quelquefois, les fenêtres étaient ouvertes, et on le voyait, d’en bas, emplissant de sa carrure le salon trop petit pour lui : il avait un vaste pantalon en drap loutre, serré par une écharpe rouge, et une robe flottante sur une chemise de soie. Nous entrions en coup de vent, tout agitées de la joie prise au concert, et aussi du plaisir de le voir ; mais il ne comprenait pas encore, dans l’effusion qui me jetait à son cou, tout ce qu’il y avait en moi d’admiration et d’enthousiasme pour son génie.

La pièce où il se tenait était tendue de cretonne claire à grands ramages ; à part cette cretonne, tout donnait une impression d’Orient : des cuirs rouges et verts, des pipes, des tapis, un divan bas, une grande table sur laquelle était posé un immense plat de cuivre tout rempli de plumes d’oie. Ces plumes avaient servi, quelques-unes très usées, d’autres le bout de leur bec à peine trempé d’encre. Flaubert écrivait sur des feuilles de papier bleu, d’une écriture serrée, qui remontait ; il y avait sur la table des feuillets, très chargés de ratures.

Je regardais tout cela, avec un sentiment de dévotion ; mais l’auteur de Salammbô ne pouvait pas savoir… Un peu inquiet de cette invasion, qui rompait le recueillement de son cabinet de travail, il