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le second rang du collier

Tannhäuser, est bien rendue par le compositeur. L’agitation sourde de l’orchestre, la déclamation hachée et haletante, les éclats de voix soudains peignent bien l’état d’esprit du chevalier.

Quand Tannhäuser se retrouve au milieu de la campagne, un petit pâtre joue une cantilène rustique dont la simplicité fait contraste avec les voix langoureusement perfides des Sirènes et autres mythologiques enchanteresses.

Bientôt passe une procession de pèlerins qui fait naître des idées de repentir et de religion dans l’âme du chevalier Tannhäuser déjà rassérénée par la chanson naïve du pâtre. Cette marche, nécessairement rythmée pour rendre la progression du cortège, est d’une grande beauté et produit un effet irrésistible : c’est un des meilleurs morceaux de l’ouvrage ; le souvenir s’en découpe nettement du fond de récitatifs et de mélopées un peu vagues qui forment la teinte générale de l’œuvre. C’est là une musique pleine de grandeur, de caractère et de conviction, la musique d’un maître, enfin.

Comme nous l’avons dit, le romantisme de Wagner est bien plutôt un retour aux anciennes formes qu’une innovation révolutionnaire ; son orchestre est plein de fugues, de contre-points fleuris, de canons, exécutés avec beaucoup de science. Rien n’est moins échevelé ; l’air de désordre vient de l’absence du rythme carré que de parti pris le maître évite, de même qu’il s’abstient de moduler. Wagner écrit lui-même les paroles de sa musique, pour que la cohésion de l’idée et de la note soit encore plus parfaite.

Il terminait l’article par ce souhait :

Nous voudrions que le Tannhäuser fût exécuté à Paris, au Grand-Opéra. La partition mérite cette épreuve solennelle.

Hélas ! l’épreuve fut faite quatre ans après, et le résultat n’honorait guère la capitale du monde.

Mais Théophile Gautier était très fier d’avoir, avant tout autre, salué ce maître et apprécié son œuvre.